Au-delà du silence

 (…)  Dieu veut toujours que nous attendions sa Parole. Dieu a promis un héritier à Abraham et à Sara, mais ils ont dû attendre dix ans avant qu'Isaac soit conçu. Dieu a promis un Messie à son peuple, mais il a dû attendre des centaines d'années. Dieu met toujours longtemps à parler.
Cette attente nous est pénible, nous qui sommes de la génération du tout de suite. Nous nous impatientons de tout retard. Les communications par Internet sont presque instantanées. Nous ne voulons plus attendre.

(…) La Parole de Dieu vient comme un présent. On ne peut pas s'en emparer. On ne peut pas faire comme si elle était à nous et la maîtriser.
La Parole vient comme une personne. Et elle est en effet une personne. Nous lui devons la courtoisie d'une attention patiente ; nous devons la laisser venir comme elle veut. Simone Weil disait : « Dans les actes d'obéissance à Dieu, on est passif [...] Il ne se produit dans l'âme rien d'analogue à l'effort musculaire ; il y a seulement attente, attention, silence, immobilité. » De la même manière qu'il nous faut donner de l'espace à une personne pour qu'elle puisse montrer qui elle est, ainsi, devons-nous donner de l'espace à Dieu pour qu'il nous accorde cette Parole (…).
Nous devons attendre la Parole en silence, car elle jaillit du sein du langage humain. Dieu n'est pas quelque être invisible plein de puissance qui arriverait du dehors en tonitruant ; il n'est pas un céleste superman (…). Nous ne pouvons pas imaginer ce qu'a été pour Jésus d'être ressuscité des morts, mais il est probable que ce ne fut pas un événement extérieur, plutôt le surgissement, du plus profond de la personne de Jésus, de sa vie avec le Père. Ainsi la Parole ne vient pas de l'extérieur, mais jaillit à l'intérieur de notre langage. La Parole de Dieu ne tombe pas d'en haut comme quelque espéranto céleste. Elle prend le temps de féconder le langage humain. Une grossesse prend du temps.
Il a fallu des milliers d'années pour qu'il y ait un langage dans lequel la Parole de Dieu puisse s'exprimer. Les prophètes, les scribes, les docteurs de la Loi, les gens de la cour et les gens ordinaires ont pris la peine de porter à Dieu toute leur attention, pour former un langage dans lequel Jésus pourrait dire les mots de la vie éternelle.
L'expérience de l'exil et de la libération, de la grandeur et de la chute de royaumes, de l'évolution de nouvelles idées sur la loi et sur l'amour, les emprunts à la sagesse des Égyptiens et des Assyriens, aux mythes des Cananéens et des Babyloniens, il a fallu tout cela pour que le langage soit prêt à accueillir la Parole, afin qu'elle réside parmi nous.
Le premier évangile a probablement été écrit une trentaine ou une quarantaine d'années après la Résurrection et il a fallu attendre encore quelque chose comme vingt ou trente ans pour le dernier. La communauté de Marc a connu une crise d'impatience aiguë dans les années 70, à Rome. Les apôtres mouraient, l'Église était persécutée, les chrétiens se trahissaient mutuellement et tombaient les uns après les autres, et Jésus ne venait toujours pas. Viendrait-il jamais ? Est-ce en vain que nous avons mis notre espérance en sa Parole ? Mais Jésus n'est pas venu au son de la trompette, comme la cavalerie arrive à notre secours. Il est venu de l'intérieur de notre langage, dans les écrits de Matthieu, Marc, Luc et Jean. Il a fait irruption en mots nouveaux, de grâce et de vérité. L'Église a dû supporter une très longue grossesse avant que ces mots lui fussent donnés.
Maintenant, il faut faire silence, en attendant le don de la Parole qui brise le silence.
Tiré du livre de Timothy Radcliffe " Les Sept dernières paroles du Christ "