LE PRINCE ET LE PAUVRE

À Londres, au XVIe siècle, le jeune Édouard, prince de Galles et fils d'Henry VIII, âgé d'une douzaine d'années, aimerait échapper à l'étiquette de la Cour et s'amuser au-dehors avec des enfants de son âge. Dans le même temps, Tom Canty, gamin pauvre des rues, rêve d'échapper à sa condition ayant son père violent et alcoolique. Sa mère et ses sœurs ont toujours essayé de le protéger. Il était bien éduqué et a appris le latin du père Andrew, un prêtre local. 

Un jour, Tom s'étant endormi dans une charrette, franchit par hasard l'enceinte du château. Se trouvant nez à nez avec le prince, ils réalisèrent qu'ils se ressemblaient comme deux jumeaux. L'occasion était trop belle pour le prince de visiter le monde extérieur. Vite, il troqua ses habits de prince contre ceux du pauvre et se glissa dans la charrette, tandis que le pauvre n'en revenait pas de devenir un prince. Mais, une fois arrivé dans le vrai monde, le prince fut pris à partie, humilié, maltraité. Il essaya en vain de présenter sa véritable identité, mais tout le monde se moqua de lui. Quant au pauvre, face à son inexpérience, à la mort du roi, il dut faire face à la révolte du Premier ministre, et son règne tourna à la catastrophe.

Ce conte recèle des enseignements essentiels. Ainsi, en chaque être humain, cohabitent un côté
« prince » et un côté « pauvre ». Le côté « prince » est tout ce qu'on a reçu : une bonne éducation, la foi et l'espérance pour les chrétiens, les dons et les talents, tout ce qu'on peut valoriser et sur lequel on peut s'appuyer durant toute une vie. Tandis que le côté « pauvre » est le côté qui en soi crie depuis l'enfance, la partie intérieure qui se sent vite abandonnée, dépourvue, parfois en colère.

Voici donc les questions que pose le conte : les deux côtés cohabitent-ils de la meilleure manière ? Le côté « prince » guide-t-il ta vie ? Si c'est le côté « pauvre » qui donne le « la », garde-toi de courir vers la catastrophe ! Mais en même temps, ton côté « prince », s'il guide ta vie, tient-il compte du côté « pauvre », l'accueille-t-il avec compassion ? Cet accueil est, pour beaucoup, le grand combat spirituel de nos vies, il reste très mystérieux.

L'équilibre de nos vies se joue dans la coexistence pacifique entre nos deux côtés. Dans les moments difficiles, quand le côté pauvre crie très fort, il faut absolument que le côté prince garde les rênes de la vie, et que le côté pauvre puisse dire humblement : « Je n'y arriverai pas tout seul, je m'en remets au côté prince, je m'en remets aux autres, je m'en remets à la miséricorde de Dieu. » Quand le côté « prince » caracole en tête, il doit régulièrement se demander : « Où es-tu, côté "pauvre" ? Que deviens-tu ? »

Ce conte de Mark Twain a une forte résonance évangélique. Nous croyons que le Prince, te Fils de Dieu, est venu dans le monde en devenant homme, comme s'il se faisait Pauvre, tout en restant Prince. Il est venu pour prendre le péché des hommes, et ça lui a coûté, nous le savons, la mort sur la croix. Mais le côté prince a toujours guidé sa vie de Fils de Dieu. Ultimement, il est resté Prince, dans son abaissement comme dans la victoire de sa Résurrection. Sa première parole des Béatitudes, selon Mark Twain, peut s'entendre ainsi : « Bienheureux tous ceux qui accueilleront le pauvre en eux, tout en restant princes, le Royaume des Cieux est à eux. »

Commentaire tiré de Nicolas Rousselot, Le tour de la foi en plus de 80 histoires